Mixenn : Pouvez-vous nous parler de votre rôle au sein de votre organisation et des principaux objectifs que vous poursuivez dans le cadre de votre poste ?
Nicolas Allain :Dans le cadre de notre mission de service public, j’ai la charge du développement de la mobilité BioGNV (Gaz Naturel Véhicule) en Bretagne. J’accompagne tous les acteurs de la filière engagés dans un projet de mobilité durable que ce soient les porteurs de projets de stations publiques/privées, les collectivités, et les entreprises de transports de marchandises et de voyageurs.
Mixenn : Plusieurs agglomérations comme Saint-Brieuc, Rennes, Lorient, Saint-Malo et Quimper ont déjà mis en place des stations BioGNV. Selon vous, qu’est-ce qui a permis à ces territoires de devenir des pionniers dans l’adoption du BioGNV ?
N.A : Chaque agglomération étudie préalablement l’intérêt technico-économique et environnemental d’une transition énergétique de sa flotte. Chaque collectivité établit sa stratégie selon ses besoins, ses contraintes réglementaires et de terrain. Il est assez fréquent de voir que les collectivités parient sur un mix énergétique souvent inscrit au sein d’un PCAET (Plan Climat Air Energie Territorial, ndlr). Les élus bretons ont pris conscience depuis plusieurs années de l’importance de s’adosser à des solutions favorisant l’économie circulaire avec la production d’une énergie locale décarbonée tout en assurant la création d’emplois non délocalisables. Le choix du BioGNV s’inscrit pleinement dans cette stratégie de long terme grâce au Biométhane issue de la production de 110 méthaniseurs en Bretagne.
Mixenn : Pourquoi, selon vous, le bioGNV devrait-il être inclus dans le mix énergétique du règlement CO2 européen, et quels avantages offre-t-il en matière de réduction des émissions de CO2 par rapport à d’autres sources d’énergie ?
N.A : Si le GNV contribue à l’amélioration de la qualité de l’air et la réduction de la pollution sonore par rapport au diesel, le BioGNV présente encore plus d’atouts. Issu de la méthanisation, le BioGNV offre les mêmes caractéristiques que le GNV tout en bénéficiant d’une empreinte carbone encore plus faible. En effet, il diminue de près de 80% les émissions de CO2 par rapport au diesel et atteint des niveaux comparables à ceux de l’électricité si l’on tient compte du cycle de vie des véhicules et de l’énergie consommée (ACV). Rappelons qu’outre ses atouts environnementaux la mobilité au bioGNV bénéficie de qualités économiques indéniables car elle dispose d’un écosystème mature et opérationnel avec une énergie produite sur le territoire par des emplois non délocalisables.
Mixenn : Le maillage territorial des stations BioGNV progresse, mais à un rythme plus lent ces dernières années. Quelles en sont, selon vous, les principales raisons ?
N.A : Le dynamisme des acteurs publics et privés bretons a permis de développer très rapidement l’infrastructure d’avitaillement concourant aujourd’hui à un maillage assez complet de stations en Bretagne (21 stations publiques et 15 stations privées). Le manque de vision politique à long terme et des aides insuffisantes ont ralenti le développement des stations. Cependant de nombreux projets sont encore à l’étude pour compléter le maillage des stations publiques et permettre à la majorité des entreprises de transports de s’avitailler sur l’une des stations à proximité de leurs établissements.
Mixenn : Vous mentionnez un manque de vision politique et des aides insuffisantes pour la décarbonation. Comment cela impacte-t-il les décisions des acteurs de la filière ?
N.A : Dans un contexte économique « tendu » et malgré la volonté des acteurs de la filière de décarboner la mobilité, le BioGNV ne dispose pas d’autant de soutien que certaines énergies alternatives au diesel malgré un impact environnemental comparable. Ce manque de vision politique créé de l’attentisme et risque de ralentir la décarbonation du secteur. Malgré ce manque de vision politique, le BioGNV, reste la 1ère énergie alternative au Diesel sur le parc de véhicules lourds.
Mixenn : L’aspect réglementaire semble freiner le développement du BioGNV. Quelles évolutions seraient nécessaires pour favoriser une adoption plus large ?
N.A : La révision du règlement européen sur les standards d’émissions de CO2 concernant les poids lourds neufs a inscrit la fin du véhicule thermique à partir de 2040 au profit de technologies dites « zéro émission au pot d’échappement » – à savoir l’électrique et l’hydrogène. En ne prenant en compte que les émissions de CO2 du réservoir à la roue (« au pot d’échappement »), cet accord ne reconnaît pas les bénéfices du BioGNV pour décarboner les transports lourds. Cette décision, en ne tenant pas compte de l’analyse de cycle de vie des carburants et des véhicules et en se focalisant sur l’électrique et l’hydrogène, risque de ralentir la décarbonation du secteur. Il sera nécessaire, pour redynamiser le développement du BioGNV, de réévaluer, lors de la clause de revoyure prévue en 2026, l’ensemble des solutions en analyse de cycle de vie et reconnaître ainsi la solution BioGNV comme neutre en carbone.
Il sera nécessaire, pour redynamiser le développement du BioGNV, de réévaluer, lors de la clause de revoyure prévue en 2026, l’ensemble des solutions en analyse de cycle de vie et reconnaître ainsi la solution BioGNV comme neutre en carbone.
Nicolas Allain, GRDF
Mixenn : Le prix du BioGNV est redevenu compétitif ces derniers mois. Selon vous, cette compétitivité peut-elle réellement stimuler l’adoption de cette énergie par les transporteurs, malgré les difficultés économiques actuelles ?
N.A : Dans un contexte économique et politique incertains, un diesel fossile étonnement peu cher, des marges faibles pour les transporteurs et un marché très disputé, la composante prix est une donnée importante mais ne doit pas être la seule pour inciter les usagers à s’orienter vers des carburants alternatifs. Avant de s’engager vers une solution alternative au diesel, il me parait essentiel d’évaluer le coût de possession du véhicule (TCO) en comparant les différentes solutions alternatives entre elles et de ne plus se comparer au diesel pour mesurer la compétitivité du BioGNV. Chez GRDF, nous allons plus loin en calculant le coût réel de la tonne de CO2 évitée permettant ainsi à chaque acteur de se projeter dans un marché du CO2 orienté à la hausse. De plus en plus de fournisseurs permettent également à leurs usagers de fixer tout ou partie du prix de la molécule sur 1, 2, 3 voire 4 ans. J’invite donc les transporteurs à étudier cette stratégie pour sécuriser leurs coûts de carburants et se donner de la visibilité sur un marché de l’énergie qui reste volatil.
Mixenn : En tant qu’acteur impliqué dans le développement de la filière, quelles seraient vos priorités pour accélérer la transition énergétique dans le secteur du transport lourd ?
N.A : La croissance de la production de biométhane permet aujourd’hui d’atteindre plus de 30 % de BioGNV dans le GNV distribué en France. Le nombre de stations d’avitaillement est en constante progression (plus de 700) et les immatriculations de véhicules ne cessent de croître (plus de 39 000 en France) démontrant une conviction forte des acteurs du transport en faveur des solutions gaz pour la décarbonation de la route. Sur le seul segment des poids lourds, ce sont 20 % de camions, d’autocars et de bus supplémentaires qui circulent au BioGNV/GNV depuis un an. Au classement des alternatives au diesel, le BioGNV/GNV arrive en première position. Les constructeurs de poids lourds continuent donc d’y croire et étoffent leur gamme : 3 nouvelles motorisations proches de 500 CV, plus économes et offrant plus d’autonomie arrivent sur le marché pour être encore plus en phase avec les besoins propres au secteur du transport routier.
Pour développer massivement la décarbonation du transport, il est important que l’Europe et la France puissent offrir aux transporteurs un cadre règlementaire neutre sur les technologies décarbonées associé à un accompagnement financier garantissant une compétitivité durable, le temps que la transition se fasse. Par exemple, exclure les véhicules au gaz du dispositif freinerait les efforts de décarbonation des entreprises mais aussi le verdissement global du transport terrestre de marchandises. En effet, comme cela n’accélèrerait pas les autres énergies alternatives au diesel, cela retarderait la sortie du gazole. Rappelons qu’outre ses atouts environnementaux, la mobilité au bioGNV a des atouts économiques indéniables, disposant d’un écosystème mature et opérationnel.
Mixenn : Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous intéresse (le plus) dans le fait d’être partenaire du programme Mixenn ?
N.A : GRDF collabore au programme Mixenn depuis sa création. En soutenant le BioGNV, GRDF est convaincu qu’il doit d’être intégré dans le mix énergétique aux côtés de toutes les autres solutions de décarbonation de la mobilité. Ce positionnement, également porté par le programme Mixenn, renforce la cohérence de notre discours et le rend encore plus crédible auprès des transporteurs, collectivités et acteurs économiques.