Mixenn est allé à la rencontre de Maxime Letonturier, directeur de production chez BHR Béton, afin d’échanger sur les actions concrètes mises en place pour réduire l’empreinte carbone de leur flotte de transport. Pionnier de l’électrification du transport béton en Bretagne, il partage également des enseignements utiles pour les acteurs de la filière.
Mixenn : Quel est l’impact du transport dans votre empreinte carbone globale et quelle stratégie avez-vous mise en place pour le réduire ?
Maxime Letonturier : Le transport représente environ 11 % de l’empreinte carbone globale de BHR, réparti entre le transport indirect (5 à 7 %) et celui réalisé en propre (5 à 7 %). La majorité des émissions provient néanmoins de la composition du béton, en particulier le ciment.
Notre stratégie de transition énergétique a démarré en 2017 avec des véhicules légers électriques ou hybrides, puis s’est renforcée avec des porteurs hybrides, et l’acquisition en 2024 et 2025 de deux tracteurs 100 % électriques, l’un avec une semi-remorque toupie, l’autre avec une citerne à ciment électrifiée. Notre flotte actuelle compte environ 240 véhicules.
Mixenn : Quels constructeurs vous accompagnent et avez-vous rencontré des difficultés techniques ou organisationnelles ?
M.L : Nous travaillons avec Volvo et Liebherr, qui nous accompagnent techniquement. Nous n’avons rencontré aucun blocage technique majeur. Les premiers véhicules hybrides ont permis une montée en puissance progressive. Le seul point un peu complexe, c’est la partie financière. Ce qui pose parfois question, c’est de savoir comment nous pouvons être accompagnés sur ces investissements. Il faut aller chercher l’information, se documenter, ce qui demande du temps et de la disponibilité. Or, nous n’avons pas les ressources internes suffisantes pour suivre en permanence les dispositifs d’aides ou les appels à projets. Nous ne sommes pas structurés pour cela aujourd’hui, ce qui rend parfois les démarches plus difficiles à initier ou à anticiper.
Mixenn : Avez-vous bénéficié de soutiens financiers pour vos investissements ?
M. L : Concernant le premier tracteur électrique, il a été acquis en location avec option d’achat, sans bénéficier d’aide financière.
Pour les projets plus récents, BHR a obtenu différents soutiens, notamment via l’Ademe et Lafarge Ciments. En 2023, deux dossiers ont été déposés auprès de l’Ademe : un par BTS et un par BHR. Seul le dossier de BTS a été accepté, permettant l’acquisition d’un tracteur routier 100 % électrique et d’une borne de recharge. Ce projet a été mené à bien, et le véhicule est exploité depuis novembre 2024.
Par ailleurs, BHR a bénéficié d’un tarif négocié dans le cadre d’un achat groupé piloté par Lafarge Ciments, portant sur 10 tracteurs Volvo. Cette mutualisation a permis à BHR de bénéficier de conditions financières avantageuses.
En 2024, un nouveau dossier a été déposé auprès de l’ADEME pour l’acquisition de 5 porteurs électriques. Ce projet a été retenu, mais la direction a finalement décidé de ne pas le finaliser pour des raisons économiques et d’investissement.
Mixenn : Comment les équipes ont-elles accueilli ces nouveaux véhicules ?
M. L : Les retours des chauffeurs ont été positifs. Une formation classique a été assurée comme pour tout nouveau véhicule directement par Volvo.
Ils apprécient particulièrement les nouvelles technologies. Ce qu’ils aiment avant tout, c’est le confort à bord de leur véhicule : les camions sont de dernière génération, bien équipés, silencieux, et très agréables à conduire.es chauffeurs apprécient notamment de ne plus avoir à gérer certaines manipulations salissantes, comme le ravitaillement en carburant ou des opérations mécaniques de base. La maintenance étant assurée directement par Volvo, les équipes internes ne sont pas sollicitées, ce qui simplifie leur quotidien.
L’ergonomie est excellente et la conduite elle-même est très différente : plus souple, plus fluide, notamment au niveau du freinage et des changements de vitesse.
Ils apprécient tellement ces véhicules qu’ils ne pourraient plus revenir en arrière. Pour eux, l’électrique est aujourd’hui une évidence.
Maxime Letonturier, directeur de production chez BHR Béton
Mixenn : En tant que pionnier de l’électrification du transport béton en Bretagne, quels enseignements ou bonnes pratiques aimeriez-vous partager?
M. L : C’est un peu ambigü. Quand on renouvelle une flotte, logiquement, on arrive à rentabiliser cette flotte. Or, la part liée à l’achat ou à la location de véhicules électriques est quand même beaucoup plus élevée que pour des camions standards. Dans le métier du béton, les marges sont assez faibles, ce qui fait que l’investissement n’est pas forcément compensé par la rentabilité. Électrifier son parc, c’est accepter que l’entreprise va perdre de l’argent quoi qu’il arrive.
Par contre, il y a beaucoup d’avantages techniques, notamment sur les chantiers : il y a moins de bruit, ce qui améliore les conditions de travail. Il y a aussi une image très positive qui se dégage quand les gens voient les toupies électriques.
Il y a donc du positif et du moins positif. Le moins positif, c’est l’aspect financier. Le positif, c’est tout le reste. Maxime Letonturier, directeur de production chez BHR Béton
M. L : Est-ce que l’un peut compenser l’autre ? J’espère que oui. Peut-être avons-nous déjà obtenu quelques chantiers grâce à cela, je ne sais pas encore, mais c’est possible. Un jour, cela pourrait devenir rentable, et alors nous entrerions dans une nouvelle dynamique.
Mon encouragement aux autres acteurs de la filière béton est de franchir le pas. C’est essentiel pour faire monter collectivement nos standards, au-delà de remplacer un camion ici ou là. Aujourd’hui, nous utilisons plus de 200 toupies par jour, mais une seule est 100 % électrique, soit seulement 0,5 % de notre flotte. Augmenter ce chiffre serait un vrai progrès.
Mixenn : Lorsque vous répondez à des appels d’offres de chantiers, constatez-vous aujourd’hui des exigences explicites de la part des donneurs d’ordre ou des chargeurs en matière de décarbonation, que ce soit pour le transport ou d’autres volets de votre activité ?
M. L : Oui, effectivement, il y a aujourd’hui des demandes explicites, notamment dans le cadre des réflexions gouvernementales autour des réglementations environnementales. Cela a commencé avec la RT2012, puis la RE2020, qui impose des seuils et des paliers à respecter pour réduire l’empreinte carbone dans la construction des bâtiments, avec des échéances en 2025, 2028, 2030, et au-delà.
Dans ce contexte, notre secteur est particulièrement concerné car le gros œuvre représente environ 25 à 30 % de l’empreinte carbone totale d’un bâtiment, principalement à cause du béton. Les donneurs d’ordre nous demandent donc de décarboner significativement notre activité, notamment en réduisant l’empreinte carbone par mètre cube de béton, pour répondre aux quotas fixés.
Un levier important est l’électrification du transport. Par exemple, pour un mètre cube de béton, le transport classique génère environ 6 à 9 kilos de CO₂, alors qu’avec un camion électrique, ce chiffre peut être ramené quasiment à zéro. Maxime Letonturier, directeur de production chez BHR Béton
M. L : Quels autres leviers de décarbonation explorez-vous ?
Cependant, la valorisation de ce gain reste complexe. Nous ne pouvons pas toujours garantir que c’est notre camion électrique qui réalise toute la livraison, donc il est difficile de valoriser cette décarbonation en tant que telle. Si nous avions une centrale avec uniquement des camions électriques, ce serait plus simple à valoriser et pourrait même constituer une plus-value pour la rentabilité.
Mixenn : Quels sont vos projets futurs dans l’agence concernant le développement d’énergie alternative ?
M. L : Nous avons déjà initié des actions pour optimiser la logistique et massifier certains flux, notamment pour les matières premières qui peuvent être stockées et transportées en grande quantité. Il y a une dizaine d’années, nous avons mis en place un stock centralisé à Crévin, près de Rennes. Plutôt que de recevoir des livraisons fragmentées, nous faisons venir des semi-remorques complétes avec différents matériaux, puis nous redistribuons ces matériaux vers nos centrales avec des camions plus petits. Cette organisation nous permet de réaliser des économies à la fois financières et énergétiques, même si nous n’avons pas encore fait de calculs précis sur le gain environnemental. Le transport fluvial n’est pas une option pour nous actuellement, faute d’infrastructures adaptées dans notre région. Quant au transport maritime, il ne concerne potentiellement que le ciment, mais la proximité des cimenteries comme celle de Saint-Pierre-La-Cour rend cette solution peu pertinente.
De fait, notre approvisionnement repose presque exclusivement sur des fournisseurs français, principalement bretons, afin de garantir la proximité nécessaire
Maxime Letonturier, directeur de production chez BHR Béton
M. L : En effet, le béton, dont la durée de vie est limitée à environ 1h30, ne peut être transporté sur de longues distances. Nous privilégions donc les graviers issus des nombreuses carrières bretonnes, tandis que pour le ciment, nous utilisons principalement la cimenterie de Saint-Pierre-La-Cour, complétée pour certaines applications spécifiques par des matériaux venus du nord de la France, seules carrières produisant les ciments adaptés.
Concernant le ferroviaire, nous avons étudié cette option pour des approvisionnements venant du nord de la France. Cependant, nos volumes à transporter restent trop faibles à ce jour pour que le transport ferroviaire soit rentable et pratique, car cela nécessite des opérations supplémentaires de chargement, déchargement, stockage et rechargement, qui compliquent la chaîne logistique. Cela dit, nous poursuivons cette réflexion avec des partenaires spécialisés, car si les volumes augmentent à l’avenir, cette solution pourrait devenir intéressante.
La mutualisation du transport ferroviaire avec d’autres entreprises du secteur ne correspond pas vraiment à notre modèle. La qualité de nos bétons repose en grande partie sur un choix rigoureux de matières premières et de fournisseurs, ce qui limite la possibilité de partager ces flux avec d’autres acteurs. Il serait donc plus réaliste que les fournisseurs du nord de la France se rapprochent géographiquement de leurs clients, plutôt que plusieurs acteurs comme nous se déplacent pour mutualiser les approvisionnements.
Cela dit, nous restons attentifs aux évolutions du marché, notamment avec le développement des lignes ferroviaires à grande vitesse et la montée en puissance du transport durable.
Nous pensons que dans 10 ans, le ferroviaire pourrait devenir un levier important pour la logistique des matières premières dans notre secteur
Maxime Letonturier, directeur de production chez BHR Béton
Mixenn : Quels sont vos projets à venir ?
M. L : En 2025, aucun nouvel investissement n’est prévu. L’objectif est d’analyser les coûts d’exploitation réels du parc électrique avant de poursuivre. Une réflexion plus large est en cours pour structurer la stratégie RSE à moyen terme.