Mixenn : Pouvez-vous nous présenter brièvement le rôle de GRTgaz ainsi que votre fonction et les objectifs principaux que vous poursuivez au sein de l’entreprise ?
Jean Terrier : GRTgaz assure la gestion du réseau de transport de gaz sur une grande partie du territoire français, tandis que Teréga exerce une mission similaire dans le sud-ouest de la France. Membre du conseil d’administration de France Mobilité Biogaz, GRTgaz s’engage activement dans le développement du bioGNV à travers diverses actions, notamment la promotion et l’accompagnement des transporteurs, des collectivités et de nombreux autres partenaires.
GRTgaz assure également le raccordement de stations de distribution de (bio)GNV et de sites de production de biométhane à son réseau. Enfin, GRTgaz veille également à la bonne prise en compte du bioGNV au sein des réglementations françaises et européennes.
En tant que Responsable du Secteur Mobilité au sein de GRTgaz, je pilote ces activités et représente notamment GRTgaz au sein de France Mobilité Biogaz, ainsi que dans le comité de transport d’Eurogas. J’outille également nos équipes en région, afin qu’elles puissent animer les partenaires et collectivités locales, notamment dans l’Ouest, où les acteurs sont particulièrement engagés dans la mobilité multi-énergies.
Mixenn : Quelles sont, selon vous, les principales problématiques, mais aussi les opportunités, auxquelles la filière bioGNV fait actuellement face ?
J.T : Aujourd’hui, le bioGNV, aux côtés de certains biocarburants, s’impose comme l’une des rares solutions disponibles pour les transporteurs de marchandises comme de voyageurs permettant à la fois de décarboner le transport, de préserver la qualité de l’air en réduisant les émissions de NOx et de particules par rapport au diesel (avec la reconnaissance Crit’Air 1) et de répondre de manière compétitive aux besoins des transporteurs. Il offre une autonomie suffisante pour les véhicules, une bonne disponibilité des stations, des temps de ravitaillement rapides, tout en ayant un surcoût modéré à l’investissement (+15 à 20 %), contrairement aux véhicules électriques et à hydrogène, qui restent bien plus coûteux.
C’est pourquoi le bioGNV constitue aujourd’hui l’alternative principale au diesel pour les transporteurs, comme en témoignent le nombre d’immatriculations et sa forte dynamique de développement.
On constate une véritable dynamique autour du GNV et du bioGNV. En effet, le nombre de véhicules lourds fonctionnant au bioGNV a triplé en 5 ans, témoignant d’une réelle croissance. Et 25 stations en Bretagne.
Jean Terrier, GRT Gae
J.T : Cependant, bien qu’il soit reconnu carburant renouvelable durable dans la réglementation RED (Directive européenne sur les énergies renouvelables), le bioGNV n’est pas considéré à sa juste valeur dans les réglementations concernant les véhicules (Règlement CO2), qui, au niveau européen, prennent en compte les émissions à l’échappement du véhicule, et non en cycle de vie complet.
Mixenn : Pourquoi, selon vous, le bioGNV devrait-il être inclus dans le mix énergétique du règlement CO2, et quels avantages offre-t-il en matière de réduction des émissions de CO2 par rapport à d’autres sources d’énergie ?
J.T : Le bioGNV permet de réduire les émissions de CO2 de 80 % par rapport au diesel tout au long du cycle de vie des véhicules et de l’énergie. Plusieurs études (IFPEN 2019, Carbone 4 2020, JRC 2020) montrent que le bioGNV présente des performances de décarbonation des véhicules lourds équivalentes à celles des véhicules électriques (dans le cadre du mix de production électrique français), de l’hydrogène renouvelable et de certains biocarburants.
J.T : Par ailleurs, le bioGNV est déjà accessible aux transporteurs, offrant une solution immédiate pour décarboner le secteur. En effet, il constitue la principale alternative au diesel pour l’immatriculation des bus, autocars et poids lourds en France, comme l’illustrent les statistiques de la CSIAM (Chambre Syndicale Internationale de l’Automobile et du Motocycle) publié en 2024.
Bien que l’électricité et l’hydrogène seront nécessaires dans le mix énergétique pour décarboner le secteur, ces technologies ne sont pas encore complètement mûres. Le bioGNV et certains biocarburants permettent déjà de réduire les émissions, ce qui est essentiel, car le transport reste un des secteurs les plus polluants et peine à diminuer ses émissions. Aujourd’hui, 99 % des poids lourds européens roulent encore au diesel, et 96 % des nouvelles immatriculations concernent des véhicules diesel. Le défi est donc important, et il est essentiel d’explorer toutes les alternatives sans attendre. Focaliser uniquement sur l’électrique ou l’hydrogène, comme le prévoit le règlement CO2, pourrait freiner les progrès et prolonger l’usage du diesel.
Mixenn : En quoi consistent les clauses de revoyure prévues pour 2025/2027 ? Quelles actions ou révisions sont envisagées, et comment pourraient-elles contribuer à une meilleure reconnaissance du bioGNV dans la réglementation CO2 ?
J.T : Les clauses de revoyure de 2027 et les études prévues pour 2025 ont pour objectif d’évaluer si le bioGNV et certains carburants liquides doivent être davantage inclus dans le mix énergétique, aux côtés de l’électricité et de l’hydrogène, afin de réussir la décarbonation du transport lourd.
Le règlement CO2 pour les véhicules lourds est actuellement centré sur un « plan A » principalement axé sur l’électrique et l’hydrogène. Toutefois, les débats au sein du Parlement, du Conseil et de la Commission Européenne avant l’adoption du texte ont révélé les risques d’une stratégie reposant uniquement sur ces deux technologies.
C’est pour cela que le texte prévoit, en 2025 :
- Une étude pour développer une méthodologie permettant d’immatriculer des véhicules utilisant exclusivement des carburants neutres en carbone..
- Une « évaluation du rôle des carburants durables ». Citation : L’objectif de la filière française est d’atteindre 100 % de bioGNV dans le GNV avant 2033 éliminant ainsi complètement le GNV fossile.
.Et une clause de revoyure en 2027 avec des actions à la main de la Commission Européenne notamment :
- Évaluant le nombre de véhicules électriques et à hydrogène disponibles, ainsi que l’état du déploiement des infrastructures de recharge (en nombre et puissance adaptées aux poids lourds) et des stations H2, ce qui suscite une attention particulière des fabricants (ACEA – « Manifesto for Zero emissions bus and trucks » – avril 2024) et des transporteurs (IRU, FNTR, etc.).
- Étudiant la possibilité d’accorder une plus grande reconnaissance aux carburants neutres en carbone, comme le bioGNV, via des méthodes comme l’analyse du cycle de vie (ACV) ou le facteur de correction carbone.
- Evaluant les contraintes des collectivités ayant déjà investi dans le biométhane pour leurs bus,.
À l’issue de ces évaluations, deux options seront envisagées : soit la confirmation du « plan A » axé sur l’électrique et l’hydrogène, soit un « plan B » prenant en compte un mix énergétique plus large incluant en complément le bioGNV et les biocarburants.
Mixenn : Pensez-vous que l’intégration du bioGNV dans le calcul de l’Analyse de Cycle de Vie (ACV) complète est une solution viable pour atteindre les objectifs européens en matière de décarbonation ?
J.T : Il est indispensable de raisonner en ACV pour déterminer l’ensemble des solutions efficaces pour décarboner et les favoriser. C’est d’ailleurs la logique de la Directive RED dans son volet sur les carburants vertueux. En effet, raisonner en pure logique d’émissions au pot d’échappement comme le fait le règlement CO2 peut favoriser des solutions peu vertueuses, si le mix de production d’électricité n’est pas suffisamment décarboné par exemple.
En termes de méthodologie, la filière communique un message clair : qu’il s’agisse d’une méthode d’ACV stricte, qui peut être complexe, ou d’une approche plus simple comme le Facteur de Correction Carbone, l’essentiel est d’avoir une méthode qui valorise équitablement toutes les alternatives efficaces au diesel, à savoir l’hydrogène, l’électrique, le bioGNV et certains biocarburants liquides. Car je le répéte, nous aurons besoin de toutes ces alternatives pour réussir la décarbonation du secteur.
Mixenn : Quelles actions sont prévues pour faire avancer la réglementation sur le BioGNV au sein de l’Union européenne ?
J.T : Depuis la publication du Règlement CO2 en mai dernier, un grand nombre d’acteurs du transport ont déjà exprimé leur souhait de voir évoluer le texte vers plus de neutralité technologique : fédérations de fabricants de véhicules, de transporteurs, chargeurs, syndicats d’énergie, collectivités organisatrices de la mobilité… Avec tous ces acteurs, nous travaillons à porter ce discours auprès des pouvoirs publics français et européens, comme ce fut le cas par exemple le 27 septembre dernier à Rennes, lors d’une journée organisée par le Syndicat départemental d’Energie d’Ille et Vilaine.
Concrètement, des travaux sont en cours au niveau européen, notamment au sein d’Eurogaset d’une coalition regroupant une vingtaine d’acteurs des filières biocarburants et bioGNV notamment ( le « Network for a sustainable mobility »). Des propositions seront faites début 2025 à la Commission européenne concernant notamment une méthodologie permettant l’immatriculation de véhicules « bio-exclusifs ».
Mixenn : Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous intéresse (le plus) dans le fait d’être partenaire du programme Mixenn ?
J.T : Ce qui nous intéresse particulièrement dans le fait d’être partenaire du programme Mixenn, c’est la capacité que vous avez de mettre en relation un grand nombre d’acteurs de la filière, allant des transporteurs, aux industries jusqu’au collectivités. Mixenn crée des opportunités d’échanges constructifs permettant ainsi à chacun de partager ses expertises et de travailler sur des solutions concrètes et collectives.
Nous sommes convaincus que ces échanges sont essentiels pour trouver des réponses efficaces et innovantes aux défis du secteur, en particulier dans la transition vers des énergies plus durables comme le bioGNV. La collaboration, telle que celle observée récemment avec les syndicats d’énergie et les experts en réglementation, a montré l’importance de combiner les connaissances et les perspectives de chacun.