Dans un récent livre blanc, France Hydrogène dresse les perspectives de déploiement du poids-lourd électrique à hydrogène pour le transport de marchandises. Coût, calendrier de déploiement, conditions de réussite pour la filière… : revue de détail des principaux enseignements.
Très attendu, le livre blanc publié aujourd’hui par France Hydrogène a pour vocation d’informer les acteurs (chargeurs, transporteurs, logisticiens…) souhaitant s’engager ou travaillant déjà sur le véhicule hydrogène pour le transport de marchandises. Il a aussi vocation à proposer une vision partagée du développement de l’hydrogène pour le TRM et les conditions de réussite d’un déploiement sur le territoire français.
Pour Valérie Bouillon-Delporte, 1ère vice-présidente de France Hydrogène et coordinatrice de son groupe Mobilité, « l’hydrogène va jouer un rôle clé dans la décarbonation du secteur du transport routier pour les poids lourds. Bien sûr, pour certains usages, la technologie [électrique à] batteries répondra aux attentes. Mais elle ne suffira pas. Et la complémentarité des technologies permettra d’atteindre les objectifs de décarbonation ambitieux. »
Une alternative prometteuse
Pour France Hydrogène, le camion électrique à hydrogène est « une alternative prometteuse » pour la transition environnementale du secteur du transport routier de marchandises. Un potentiel confirmé par la vision des transporteurs, qui manifestent un intérêt marqué pour cette technologie : dès 2019, dans le cadre d’une enquête utilisateurs menée par Hydrogen Europe et France Hydrogène, plus de la moitié des acteurs interrogés envisageaient d’acheter un camion électrique à hydrogène à horizon 2025.
En France, l’ensemble des acteurs interrogés envisage de faire l’acquisition de poids lourds hydrogène d’ici à 2030, dont 83 % d’entre eux dès 2025.
Une confirmation du mix énergétique en devenir
Au travers de l’analyse des avantages et des limites des différentes solutions alternatives au diesel (contraintes opérationnelles, impacts environnementaux, avitaillement…), le Livre blanc est l’occasion de positionner le véhicule électrique à hydrogène face aux autres énergies alternatives qui se développent aujourd’hui. Electrique, thermique à hydrogène, GNV… : le livre conclut à l’intérêt de chacune des solutions sur les créneaux qui sont les leurs et en réponse aux contraintes d’exploitation des différents métiers du TRM (temps d’avitaillement, autonomie, tonnages, accès aux centre-villes…).
Le rapport partage ainsi notamment sa vision de la répartition des zones de pertinence attendues entre le véhicule électrique à batterie, plutôt orienté vers la logistique urbaine et la courte distance, et celui à l’hydrogène, plutôt destiné aux forts tonnages et à la longue distance. Pour les rapporteurs, l’hydrogène pourrait tout de même prendre sa place dans le transport urbain, notamment grâce à sa charge rapide, en comparaison des véhicules électriques à batteries.
Un marché mature en 2030
Les contributeurs au rapport partagent la vision d’un marché mature à horizon 2030, notamment grâce aux développement de l’offre de véhicules, dont la production en série est attendue pour 2026-2028, et du réseau d’hydrogène pour la recharge. Les objectifs européens sur le sujet prévoient ainsi une station H2 tous les 150 km sur le réseau européen RTE-T d’ici fin 2030.
Pour France Hydrogène, l’évolution du marché se fera donc selon trois grandes phases :
- Une première phase d’amorçage du marché, jusqu’en 2025, avec principalement des déploiements pilotes
- Une deuxième phase (2025-2027) qui devrait voir des productions de véhicules en petites séries
- Une troisième phase enfin, qui devra aboutir à 2030 à l’atteinte d’un marché mature, permis par des productions de véhicules en séries importantes.
Jusqu’en 2025, une phase d’apprentissage et de communication
Aujourd’hui, des partenariats se nouent, des écosystèmes d’innovation se constituent. Les premiers poids lourds voient actuellement le jour en France et en Europe au travers de programmes tels que H2Haul ou encore le déploiement de 1600 camions électriques à hydrogène en Suisse avec Hyundai et H2 Energy.
Jusqu’à 2025, la filière devrait donc connaître une phase d’amorçage marquée par le déploiement de premiers prototypes, de préséries de véhicules en 2023-2024, et d’un certain nombre de stations hydrogène adaptées aux poids lourds. Ces déploiements, largement soutenus par des subventions, concernent aujourd’hui en majorité des segments de poids lourds standards, et particulièrement les transports régionaux et les activités de messageries.
Ces déploiements prochains doivent permettre à l’ensemble de la filière de bénéficier de retours d’expérience et d’assurer la montée en compétence de chacun. Pour France Hydrogène, ils vont aussi permettre de communiquer auprès des sociétés de transports routiers et favoriser ainsi l’adoption de la technologie hydrogène.
2028 : des déploiements conséquents et coordonnés
De 2025 à 2028, la filière devrait connaître des déploiements plus conséquents, marqués par une augmentation de la capacité de production des véhicules et des premières séries industrielles, notamment de constructeurs européens. Cette deuxième phase devrait aussi être celle du passage à l’échelle avec une industrialisation de la production et une accélération du développement du réseau d’infrastructures. Pour la filière, l’objectif sera d’assurer un déploiement coordonné des véhicules et des stations pour maximiser la compétitivité de l’hydrogène à la pompe et assurer un maillage permettant de réaliser des trajets transrégionaux et transeuropéens.
2030 : l’âge de la maturité
Enfin, de 2028 au début de la décennie 2030, France Hydrogène prédit l’atteinte de la maturité du marché, marquée par le développement de grandes séries industrielles par les constructeurs et l’accès à un prix de l’hydrogène à la pompe diminué. Les déploiements de véhicules devront s’accélérer sur les corridors régionaux, nationaux et européens avec un réseau de plus en plus conséquent de stations hydrogène (objectif de 1000 stations déployées en France en 2028).
Une solution prometteuse… mais à quel prix ?
Les premiers camions électriques à hydrogène représentent aujourd’hui un surcoût important, aussi bien sur l’achat du véhicule que sur le carburant. Sur le plan de déploiement envisagé entre aujourd’hui et 2030, le Livre blanc s’est penché sur l’évolution des modèles économiques et du TCO (coût total de possession) des camions hydrogène.
Dans la phase d’amorçage que l’on connaît actuellement, le TCO est deux à trois fois plus élevé que celui du diesel. Et France Hydrogène de prendre des exemples :
- Un porteur pour du transport régional, parcourant 200 à 250 kilomètres par jour, 5 jours par semaine, présente un surcoût de 50.000 à 60.000 euros par an, sur une durée d’exploitation de 8 ans.
- De son côté, le transporteur multimodal Combronde a estimé entre 70.000 et 80.000 euros le surcoût du passage à l’hydrogène sur un trajet inter-régional Clermont-Ferrand – Bordeaux.
Un surcoût important qui concerne tous les postes : véhicule, carburant, maintenance, assurances…
En 2027, en prenant l’hypothèse de la mise en place des premières lignes de production en série des véhicules et le développement des usages, France Hydrogène estime que le prix des véhicules et du carburant devrait avoir diminué. En parallèle, l’association s’attend à ce que le prix du gazole augmente, ce qui permet d’estimer le surcoût de possession d’un camion ou tracteur hydrogène à 60 à 80% par rapport à un modèle Diesel.
La convergence des courbes de coûts totaux de possession de l’électrique à hydrogène et du diesel, de plus en plus taxé, est attendue à horizon 2030.
Enfin, « en 2030, la filière mobilité hydrogène devrait être compétitive économiquement avec le diesel, en additionnant le prix d’achat des véhicules, les frais de carburant et de la maintenance ». En parallèle, les coûts de possession des poids lourds Diesel devraient augmenter (augmentation de la TICPE, renchérissement des véhicules Euro VII…). Les résultats des analyses de France Hydrogène suggèrent que l’écart du TCO entre diesel et hydrogène devrait être de +/-5 % en fonction des segments d’utilisation. Les porteurs hydrogène devraient présenter un surcoût de l’ordre de 5 à 6% par rapport au diesel en 2030, et les porteurs de distribution régionale pourraient même bénéficier d’un TCO identique, voire légèrement inférieur, au diesel. Les tracteurs devraient eux également présenter un TCO similaire au diesel.
Ces résultats illustrent la tendance selon laquelle plus le kilométrage des véhicules sera élevé, plus la solution électrique à hydrogène sera compétitive, à condition que le prix d’achat de l’hydrogène soit suffisamment compétitif, et atteigne la cible de 5 €/kgH2.
Les clés du succès
France Hydrogène conclut son Libre blanc par un appel à l’ensemble des acteurs impliqués dans la filière à relever les gants pour réussir le pari de l’hydrogène. Pour assurer le succès de ces premiers projets, l’association considèrent que les efforts devront porter notamment sur :
- L’implication de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur dès la phase de montage du projet.
- La mise en place d’un contexte réglementaire et financier propice, notamment via les subventions à l’achat des véhicules et aux infrastructures et les mécanismes de soutien à la production d’hydrogène bas-carbone.
- La gestion du surcoût actuel relatif à l’hydrogène, qui doit être partagé entre transporteur et chargeur.
- La gestion du calendrier ambitieux du développement de cette solution pour l’atteinte d’un marché de masse (investissements et commandes, développement et production des véhicules, construction des infrastructures d’avitaillement, sécurisation des subventions, gestion des aspects réglementaires, etc.).