Et si le COVID nous sevrait du pétrole ?

Au sein de l’équipe Transitions & Mobilités, nous constatons que nous avions moins traité le sujet ‘pétrole’ ces derniers temps. Ni par manque d’intérêt ni par manque d’actualités. Comme pour nombre de sujets, le COVID semble rebattre les cartes. Marché volatil s’il en est, l’or noir entre aussi dans une nouvelle ère inconnue.
Économistes et acteurs du marché s’attendent à une remontée (brutale?) des cours une fois les économies déconfinées. Pourquoi les prévisions semblent aisées ?

Qu’apprend-on quand la demande en pétrole s’effondre ?

Si certains collapsologues se réjouissent en constatant que nos sociétés tiennent encore relativement sur leurs jambes malgré une consommation de pétrole très sensiblement réduite. D’autres se félicitent d’une démobilité carbonée forcée, qui nous enseignerait que le monde sans (autant) de pétrole est possible.
En effet, en amont de la pandémie et des mesures de confinement touchant 50% de la population mondiale, notamment les plus gros consommateurs d’hydrocarbures, le cours du pétrole avait déjà amorcé une baisse sensible. Tiré vers le bas, les prix étaient aussi faibles pour satisfaire aux besoins de stratégies géopolitiques de certains acteurs du marché.

Un dernier rail avant la désintoxication ou le renforcement de l’addiction ?

D’une part, un pétrole pas cher ralentit la transition vers des mobilités décarbonées, rendant la dépendance plus douce. Les Européens restent ainsi massivement des clients fidèles de cette drogue en baril dont ils sont normalement si dépendants. Le TCO des véhicules électriques se dégrade, ce qui pourrait ralentir le marché des alternatives aux véhicules 100% thermiques.
D’autre part un pétrole bas déstabilise les producteurs texans ou plus largement nord-américains qui ont besoin de cours élevés pour assurer la viabilité des très lourds investissements consentis pour extraire du pétrole de schistes ou bitumineux. Or un puits, comme un haut fourneau, n’a pas de bouton poussoir que l’on presse pour arrêter simplement la production, sans dommages techniques et financiers. Et relancer la production quand cela est possible coûte excessivement cher.

Russes et Saoudiens jouent de l’accordéon et espèrent des ciseaux 

A la différence de l’Arabie Saoudite et de la Russie, nombre de pays n’auront ni les ressources financières pour attendre le retour à la normale de la demande mondiale. Mais ils n’auront sans doute pas les moyens de restaurer des capacités de production mises en sommeil. On peut donc attendre une recomposition profonde de la carte des pays producteurs. Aux USA, les producteurs du Middle West traversaient déjà des turbulences avant la récession due à la pandémie. Si les moyens de production sont technologiquement plus flexibles, les ressources financières à mobiliser pour les relancer pourraient bien mettre un certain nombre en très grandes difficultés (des prix négatifs pour le baril du pétrole du Wyoming). 

Un pétrole durablement bas mettrait donc des producteurs en état de (quasi)faillite. Les investissements en exploration déjà au plus bas en 2019 et 2020 seront reportés (faible prix, effort de relance de la production). C’est l’effet accordéon, la pression des prix bas réduit le nombre d’acteurs présents sur le marché.

De plus, ces différents facteurs augurent une remontée brutale des cours quand la demande globale repartira. C’est l’effet ciseaux d’une offre qui deviendra (légèrement) inférieure à la demande aux bénéfices des rentiers de l’or noir.

Toutefois le COVID pourrait bien remettre en place la manœuvre des Russes et des Saoudiens. En effet, la crise révèle crûment leurs vulnérabilités aux Européens. Ces derniers pourraient donc mettre à profit le plan de relance de l’économie, le conjuguer au déploiement du green Deal pour mener un profond aggiornamento des politiques publiques afin d’assurer une meilleure maîtrise du Destin européen, ou tout au moins d’une souveraineté partiellement recouvrée…

 

D’après Le Monde, Pétrole : les Etats-Unis mettent la pression sur l’Arabie saoudite (le 27/03/20) et Les Echos,  Vers une fin de la guerre du pétrole ? (le 09/04/20)