Nous avons rencontré Corentin Vidalie, Responsable Amélioration Continue & Décarbonation chez Jacky Perrenot afin de mieux comprendre sa vision du mix énergétique mis en place dans l’entreprise.
Mixenn : Quelle est la stratégie de transition énergétique pour votre flotte de poids lourds ?
Corentin Vidalie : Le diesel reste une composante importante de notre mix énergétique, mais actuellement notre flotte intègre toutes les énergies alternatives, à l’exception du moteur à combustion hydrogène. 19 % de nos 6.000 camions fonctionnent avec des énergies alternatives : c’est, en France, le parc le plus important de solutions alternatives !
Nous comptons une importante proportion de véhicules alimentés au biogaz, environ 350 poids lourds et 100 utilitaires, ainsi qu’une centaine au B100 et au HVO. Nous disposons également d’un camion hydrogène, et pour l’électrique, nous aurons bientôt une trentaine de poids lourds et une quarantaine de véhicules légers en exploitation. Notre ambition d’ici fin 2025 est d’intégrer 300 véhicules électriques de plus dans notre flotte, comprenant des véhicules légers, des porteurs et des tracteurs.
L’objectif final est d’avoir environ 50 % de notre flotte composée d’énergie alternative d’ici 2030.
Corentin Vidalie, Responsable Amélioration Continue & Décarbonation chez Jacky Perrenot
Mixenn :Quels défis avez-vous rencontrés tout au long de ce processus ?
C.V. : Un des principaux défis est la coordination entre tous les acteurs impliqués, surtout avec les nouvelles technologies comme l’électromobilité. Cela implique de soutenir les clients pour qu’ils vivent la transition de la façon la plus fluide possible. Par exemple, pour notre véhicule électrique de l’agence d’Arras au nord de la France, nous avons réussi à convaincre les conducteurs grâce à un support local et à l’investissement total du fournisseur. Cela a permis de surmonter quelques pannes initiales et de rendre le processus globalement positif.
Un autre défi est l’implication de nos clients dans ces projets. Il est crucial de leur montrer les risques que nous prenons et d’obtenir leur soutien financier et leur engagement. Acheter un tracteur routier à 350.000 euros, par exemple, est un investissement lourd, nous engageant sur plusieurs années. Cela ne se fait pas sans une chaîne globale entre l’accompagnement du fournisseur, le transporteur qui l’opère, des conducteurs qui sont en pleine adhésion et leur client qui supporte les coûts. C’est un vrai travail d’équipe.
Mixenn : Est-ce complexe de gérer plusieurs carburants pour une même flotte de véhicules ?
C.V. : Le défi majeur est la traçabilité de l’affectation des ressources à chaque client, surtout lorsqu’il y a une mutualisation des énergies entre différents clients pour le transport de marchandises générales.
En outre, la formation des conducteurs représente un autre défi important. Les conducteurs doivent être formés pour gérer différentes motorisations, car conduire un véhicule électrique diffère grandement de conduire un véhicule au gaz ou un tracteur diesel, tant en termes de fonctionnement que d’autonomie.
Cela nécessite beaucoup d’accompagnement et de formation pour garantir que les conducteurs s’adaptent efficacement à ces nouvelles technologies dans un environnement souvent exigeant.
Corentin Vidalie, Responsable Amélioration Continue & Décarbonation chez Jacky Perrenot
Mixenn : Quels sont, selon vous, les coûts financiers et les avantages liés au mix énergétique mis en place par Jacky Perrenot ? Avez-vous bénéficié de subventions financières ?
C.V.: Actuellement, les énergies alternatives entraînent un surcoût d’exploitation, visible dans nos tarifs proposés. Les économies à long terme sont encore limitées, surtout tant que le carbone n’est pas lourdement taxé. De plus en plus de clients, conscients des enjeux liés à la transition énergétique, demandent des propositions commerciales pour deux ou trois types de carburant. Certains acceptent les tarifs plus élevés des énergies alternatives, tandis que d’autres préfèrent rester au diesel, surtout en l’absence de sanctions immédiates ou de pressions économiques comme des ZFE strictes.
Nous avons bien été soutenus par l’Ademe dans le cadre de deux appels à projets qui couvrent à la fois les véhicules électriques et l’infrastructure de recharge. Il y a aussi les mécanismes de suramortissement disponibles qui jouent un rôle crucial dans l’atténuation de l’impact financier sur nos clients. Cependant, ces dispositifs deviendront bientôt très limités, ce qui freinera considérablement notre dynamique de transition énergétique.
Pour autant, les initiatives publiques sont indispensables, comme celles menées par la Vendée sur l’hydrogène, qui sont, selon moi, essentielles pour faire avancer ces secteurs. Les acteurs privés ne peuvent pas assumer seuls de tels investissements. Les collectivités territoriales peuvent, elles, se permettre de déconnecter ces projets de certaines contraintes budgétaires immédiates, ce qui permet aux acteurs privés de s’y associer plus facilement par la suite, pour utiliser ces technologies.
Mixenn :Avez-vous établi des partenariats avec d’autres entreprises ou organisations pour optimiser votre mix énergétique ?
C.V. : Non, nous ne sommes pas directement impliqués dans des consortiums, mais nous collaborons étroitement avec les énergéticiens et les fabricants de véhicules. Cela fait partie aujourd’hui de mes fonctions d’apporter un regard critique opérationnel sur nos métiers aux fournisseurs. Nous travaillons avec eux pour tester, accélérer et mettre en production des prototypes, tout en soutenant l’innovation.
Cela inclut des échanges sur l’emplacement des infrastructures, par exemple. En fin de compte, nous contribuons à dynamiser les différentes filières à notre niveau.
Mixenn : Quels sont vos projets futurs en matière de transition énergétique pour votre flotte de poids lourds ?
C.V. : L’idée serait de tester de nouvelles solutions énergétiques, comme l’hydrogène, les véhicules électriques ou le diesel de synthèse, en explorant différentes options de constructeurs pour permettre à nos clients de les expérimenter. L’objectif est d’intégrer progressivement ces technologies, d’évaluer leurs avantages, et d’être prêts à adopter des nouvelles énergies lorsqu’elles deviendront viables. Tout cela se fait dans le cadre de projets pilotes.
Le rétrofit, notamment pour les batteries sur certains véhicules diesel comme le Neotruck, est une option intéressante pour convertir nos véhicules en tracteurs de parc. Cependant, le rétrofit hydrogène pose des défis, notamment en raison du coût élevé de production de l’hydrogène et de son rendement énergétique, qui est nettement inférieur à celui des batteries. Le rendement des batteries s’améliore rapidement, tandis que l’hydrogène, même lorsqu’il est produit de manière renouvelable, reste coûteux. Attendre que l’hydrogène vert devienne abordable pourrait freiner la production en volume des véhicules hydrogène, à moins d’un soutien massif du gouvernement ou de l’Europe pour équilibrer les coûts.
Mixenn : Enfin, quels aspects de votre transition énergétique amélioreriez-vous, et quels conseils donneriez-vous à d’autres entreprises pour réussir une transition similaire pour leur mix énergétique pour les poids lourds ?
C.V. : Nous pensons avoir fait les bons choix sur le plan macro. Il y a quelques années, le gaz naturel était la seule alternative au diesel, mais aujourd’hui, nous explorons presque toutes les énergies alternatives disponibles.
Dans le contexte économique difficile d’aujourd’hui et le climat d’incertitude politique, il est compliqué de mettre en place des stratégies à long terme, ce qui conduit souvent à des actions axées sur le court terme. Nous aurions donc peut-être dû insister plus lourdement auprès de nos clients pour entamer leur transition énergétique, de la structurer plus en amont leur ambition et leur stratégie afin d’aborder plus sereinement cette période de flottement où beaucoup on desormais des objectifs à tenir.
Bien que la maturité croissante des technologies pour les poids lourds soit encourageante, il est crucial de guider nos clients avec des conseils clairs et pertinents tout en s’adaptant aux évolutions du secteur, afin de leur offrir un large éventail d’options écologiques de manière transparente.
Le conseil numéro 1 : ne pas se focaliser sur une seule énergie, surtout pas, mais privilégier un mix, plus adaptable aux contraintes opérationnelles.
Corentin Vidalie, Responsable Amélioration Continue & Décarbonation chez Jacky Perrenot